Continuons notre promenade au fil des chemins de Charleville-Mézières par une rue peu connue, pourtant située en hypercentre, à deux pas du musée Rimbaud et de la place Ducale, portant le nom de «Rue Hippolyte Taine»...
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Des bâtisses du centre-ville historique de Charleville, rue Hippolyte Taine |
La rue Hippolyte Taine est une petite rue étroite, peu fréquentée des piétons et des automobilistes, et qui fait le pont entre le centre-ville et les espaces verts du Mont-Olympe. Entièrement pavée, elle est bordée de bâtisses pour la plupart du XVIIe siècle, date de la construction
ex-nihilo de Charles-Ville (1606). Ses bâtiments répondent aux critères urbains de la cité : volets en bois peint, pierres ocres, lucarnes sur les toits, deux ou trois niveaux seulement. L'histoire de cette rue est riche et singulière. Au commencement était la
rue des Juifs.
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Petite ruelle pavée, pont entre le centre-ville et le Mont-Olympe |
La rue des Juifs
Le prince d'Arches, Charles de Gonzague, autorise, dès 1609, les Juifs à s'installer dans sa ville. Pour les y accueillir, la rue des Juifs voit le jour dans les années 1621-1622, et dès 1625, l'on recense des Juifs venus d'Allemagne. En 1628, Abraham Cohen s'engage à construire dans cette rue deux pavillons. En mars 1630, Gabriel Moulin, argentier de Charles de Gonzague, accorde à la communauté juive un terrain de six toises de largeur (11m70) pour y construire une synagogue. En 1643, il semble que la synagogue soit déjà fermée, elle se trouvait au numéro 10. La maison fut détruite en 1940 par une bombe allemande... De nos jours, à cet emplacement, aucun autre édifice n'a été reconstruit.
La rue des Tanneurs
La rue des Juifs fut aussi appelée rue des Tanneurs, car une cinquantaine de tanneurs viennent s'y installer dès le XVIIe siècle. Dans les caves des maisons, d'énormes «caques» ou bacs permettaient de dégraisser les cuirs au moyen d'urines. Le tannin, écorce de chêne, était débarqué sur le port en bas de rue, le long de la Meuse. Un lavoir assurait l'apport d'eau courante.
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18 rue Hippolyte Taine |
Des garçons, de 8 à 12 ans, se levaient à l'aurore, pour aller récolter les urines humaines de la nuit. Les «puchattiers» quémandaient les contenus des pots de chambre de particuliers désirant vendre leurs urines, la «purchatte». Ce liquide nauséabond était ensuite utilisé dans les nombreuses tanneries et manufactures textiles, afin de dégraisser cuir et laine.
Bien des années plus tard, toutes ces activités ont disparu de la rue en totalité. Entre-temps s'est installé un artisanat de faïences et de verreries, qui n'a laissé pour seule trace que les plaques en faïence accrochées sur la façade du numéro 7.
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7 rue Hippolyte taine |
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Détail ancienne faïences et verreries |
Aujourd'hui, la rue, rebaptisée Hippolyte Taine, est résidentielle.
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Le lampadaire éclaire les pavés de la rue Hippolyte Taine |
Hippolyte Taine (Vouziers-1828 / Paris-1893) est un philosophe et un historien ardennais. Fils d'une famille drapière prospère, il réalise de brillantes études au lycée Condorcet et à l'Ecole Normale Supérieure. Très vite, il est l'adversaire de Victor Cousin dont le travail fait alors autorité, et qui par ailleurs, possède une rue de Charleville à son nom, à moins de vingt mètres de la rue Hippolyte Taine, comme pour fixer dans le temps l'affrontement idéologique de ces deux hommes. Taine apparaît comme un philosophe en marge de l'institution de l'époque par le parti qu'il prend en faveur des philosophes Spinoza et Hegel. Mu par un strict déterminisme, il explique la production artistique et littéraire par la race, le milieu, et le moment.
La rue baptisée de son nom est aujourd'hui un peu oubliée des carolomacériens, comme Taine l'est des non-érudits. Pourtant, la rue Hippolyte Taine mérite que l'on s'y attarde quelques instants, pour admirer son architecture, et pénétrer dans son histoire...
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Rue Hippolyte Taine |